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Premières lignes

Mon roman ''Borderline'' est en attente d'éditeur.

 

Je tente l'écriture d'un nouveau. Sans titre pour le moment. Voici les premières lignes...

 

 

 

1

 

Salvi Orozco est debout. Immobile. Face à la fenêtre ouverte. À la rue et sa rumeur. Aux toits se succédant à l’infini. À la grève derrière l’infini. Il a le combiné du téléphone sur son oreille. Le bip-bip régulier qui l’envahit. Et personne à qui parler.

 

Salvi Orozco est muet. Bâillonné par les mots qu’il vient d’entendre, il se tait. Ses pieds nus s’enfoncent dans le tapis. Ses yeux percent la pénombre d’après la nuit. Ses mains se cramponnent au plastique de l’appareil. Et sa mâchoire se resserre. Se resserre. Il n’a plus de mots. Plus de cris. Juste le silence  pour accompagner sa souffrance.

 

Le jeune homme finit par lâcher le combiné qui s’effondre sur le téléphone. Il fait un premier pas puis recule. Il hésite quelques secondes puis se remet en route. Fermer la fenêtre. Remettre le coussin sur le canapé. Prendre un verre d’eau. Ouvrir à nouveau la fenêtre. S’asseoir sur le fauteuil. Se relever. Rien ne va. Salvi ne sait pas où se mettre. Il aimerait reprendre le téléphone et rappeler pour être sûr. Mais cela ne servirait à rien. Il est sûr et reste immobile. Il jette un œil à sa montre. Il est très tôt. Il a encore un peu de temps avant de devoir partir au bureau. Salvi se relève finalement et se dirige vers la bibliothèque. Il laisse aller ses doigts sur la ribambelle de livres et s’arrête à un endroit bien précis. Il s’empare d’un ouvrage rouge. Un album photo. Il commence à le feuilleter. Commence seulement, car ce livre est trop lourd, ses pages trop vivantes, ses souvenirs trop poignants. Ce classeur le brûle. Trop de douleur. Salvi relâche son étreinte et laisse le cahier rejoindre le sol. Le bruit est sourd et les photos s’échappent. Et s’étalent. Sur la faïence humide qui suinte.

 

Salvi Orozco est bouleversé. Même s’il savait ce qui allait arriver. Même s’il savait que le grand Rafa s’éteignait. Même s’il savait que son grand-père mourait.

 

Rafa Orozco vient de mourir. Salvi Orozco va devoir l’enterrer.

 

 

 

 

 

2

 

Je viens de l’autre côté de la mer.

Je viens du sud.

Je viens de là.

 

Je suis tout petit ici. De toute façon j’ai toujours été tout petit. Toujours le plus court sur patte, le plus jeune, le plus vulnérable. Au milieu des géants qui habitaient ma maison d’enfant, j’ai toujours été celui- là.  Celui qu’on borde, qu’on essuie, qu’on recoiffe, qu’on respire, qu’on débarbouille, qu’on hisse sur ses épaules, qu’on pose sur ses genoux. Je me rappelle de ce cocon. De tout ce coton. Du coton imbibé d’alcool et de fumée car chez moi, il y avait des bouteilles et des cigarettes. Tout le monde buvait. Tout le monde fumait. Homme ou femme, vieillards ou jeune fille. Il y avait toujours des paquets de tabac et du papier à rouler qui traînait. Sur la table près du figuier, dans la cabane derrière le muret, dans la barque de Rafa, sur la poutre près du poêle, dans le tiroir de la commode, sur la table de nuit de tante Ana Luisa. Pour les bouteilles, c’était plus discret. On les sortait à tous les repas mais en dehors de ça, c’était juste une lichette par ci, une rasade par là. Le bouchon que l’on ôte, le goulot que l’on porte à la bouche, la goulée qui réconforte et la bouteille qui retrouve sa place. L’air de rien. Une fois. Puis deux. Puis trois. Puis… Du lever du jour au coucher du soleil. Mais il n’y a pas de mal. C’est comme ça ici. Ça revigore et ça permet d’oublier. Je crois que dans ma famille, mes géants avaient beaucoup de choses à oublier. Trop. Il fallait faire comme si, verrouiller les lacrymales, faire taire les sanglots, se tenir droit dans la tempête, avancer et se taire. Ce n’était jamais méchant, il n’y avait pas de coup de fouet pour nous cadrer, juste un accord tacite muselant son monde. Un contrat secret que tout le monde devait respecter. Une manière d’être inculquée dés le ventre maternel. Pas d’épanchement ici, ni scandale, ni cri chez les Orozco. La souffrance qui dégouline c’est pas de chez nous. Et puis c’est trop impudique de pleurer ensemble. De se réfugier dans les bras de l’autre. Et puis de toute façon, même si on le souhaitait, chez les Orozco on ne sait pas faire. C’est comme ça de père en fils. La peau dure et les yeux secs. Alors, une seule solution pour passer au travers des tempête : oublier. Et puis oublier c’est plus facile que de parler. Faire des phrases, c’est tout déballer, ressasser, ça fait du grabuge. Se taire, c’est plus discret. Et, même s’ils aimaient ça mes géants faire du bruit - brailler, bavasser, interpeller pour tout et n’importe quoi - ils parlaient pour ne rien dire.

 

 

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Puis-je me permettre: resssasser et non ressacer et dans l'article précédent : la ribambelle de livres et pas de livre.
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